mercredi 17 août 2011

Frank Lloyd Park

La ville satellite de Oak Park, à un jet de pierre de Chicago, recèle la plus grande concentration de maisons de Frank Lloyd Wright de tous les Etats-Unis et ceci ne tient pas du hasard.
Employé très jeune chez Louis Sullivan, en 1889 à l’âge de 22 ans, ayant à peine étudié l’ingénierie et appris son métier d’architecte en agence, le jeune Franck Lloyd souscrit auprès de son patron un prêt de quelques milliers de dollars. Avec cet argent il achète un terrain boisé, grand et déjà construit dans le but d’y faire édifier une maison.
Grâce au réseau de tramway qui relie à l’époque Oak Park à Chicago, il travaille le matin au bureau, saute dans le tram et rejoint son domicile pour se consacrer l’après-midi à des commandes privées. Ses premiers commanditaires sont recrutés chez Sullivan parmi les clients de bâtiments de bureaux souhaitant se faire construire une maison.
Selon la légende, Louis Sullivan découvrant par hasard une de ces maisons en chantier, lui trouve beaucoup de style, interroge les ouvriers sur l’architecte en charge, se rend compte que celui-ci n’est qu’un prête nom et découvre enfin le pot aux roses. Il convoque Wright et selon l’histoire que vous préférerez, le licencie sur le champ ou l’encourage à se mettre à son compte.
Sa nouvelle maison étant prête, Wright s’y installe et y lance officiellement son activité. En 1898, il adjoint un atelier à sa maison, y engage ses premiers employés. Il n’aura de cesse par la suite de modifier, d’agrandir, de surélever ou de compléter ces deux bâtiments.
Dans cet atelier Wright teste et conceptualise. La vingtaine de maison qu’il bâtira autour de son agence, étant par là un architecte local, presque un architecte de quartier, sont autant d’épures ou d’essais. Pour les spécialistes de Wright, c’est ici et pendant ses 20 années de résidence à Oak Park, soit pendant les 20 premières années de sa carrière, qu’il inventera les "Prairie Style Houses".
La Robbie House, l’exemple le plus achevé édifié entre 1908 et 1909 sur le campus de l’Université de Chicago, a été conçue ici. Les lignes horizontales s’affirment comme jamais, Wright y conceptualise le living-room et prépare l’arrivée de l’automobile, intégrant deux garages alors que son client ne possède pas encore de voiture.
En 1909, épuisé, ayant le sentiment "d'être parvenu à ses limites", il quitte les Etats-Unis, abandonnant au passage sa famille, pour visiter l’Europe avec la femme d’un de ses clients.
De retour aux Etats-Unis en 1911, il rejoindra son Wisconsin natal.
Il ne reviendra jamais à Oak Park.

Aujourd’hui le secteur est résidentiel et plutôt coté. De nombreuses maisons de Wright sont encore habitées et de sages visiteurs marchent sous les frondaisons, une carte en main. Plusieurs exemples de maisons d’architectes émules de Wright sont aussi signalées.
Dans les années 20, Wright est donc devenu un style. Le style, cet ancêtre du générique…

Franck Lloyd Wright ou Franck Lloyd Wrong ?







PS/ La Robbie House c'est pas à Oak Park et ça ressemble à ça.

mardi 16 août 2011

Chicagobama, South SIde

Avec Franck Lloyd Wright, Al Capone, Daniel Burnham, Abraham Lincoln et Michael Jordan, Barack Obama fait partie des personnalités emblématiques de la vile de Chicago.

Bien que n’y étant pas né, et n’y ayant pas étudié, le futur président y vécu, y enseigna et y travailla. Pendant plusieurs années, il fut travailleur social dans un organisme affilié à la Trinity United Church et intervint dans le quartier défavorisé d'Altgeld Gardens, du côté de la 95ème rue dans le South Side.
A l’opposé de la gestion sociale et urbaine française où les opérations sur les quartiers défavorisés visent d’abord et avant tout à soigner des lieux, à écrouler des barres ou à repeindre des cages d’escaliers, l’approche américaine favorise le dialogue communautaire et l’action personnalisée. Le but final étant de s’assurer que la mobilité des personnes reste possibles. Le ghetto n’est pas un problème tant qu’il reste un sas, un lieu de vie transitoire.
Le long de la 95ème rue quelques handicapés mendient aux feux, les gens sont plus gros, des groupes de jeunes nonchalants attendent devant les entrées, des voitures portent des impacts de balle. Le fameux "project" est en fait un quartier social constitué de petites barres de 2 niveaux alignées sagement autour de pelouses grillagées et plutôt entretenues. Plus loin l’éternelle maison individuelle s’étend le long de petites rues. Ici elles paraissent plus petites et moins solides.
La Trinity United Church semble opulente. L’église ressemble à un bunker où l’on vous accueille malgré tout, mais de mauvaise grâce.

"Yes, Barack Obama used to be a member here. No, you may not have a look around."

Merci, ça tombe bien on partait.

Très bon article de Fabrice Rousselot « Chicago, le berceau d'Obama »dans le journal Libération du 4 mars 2008.
Lien ici.





lundi 15 août 2011

Chicago Archi 2 : Marina City

Les tours jumelles de Marina City fournissent un autre exemple représentatif de la matrice urbaine et architecturale de Chicago : fusion de l’architecture et de l’infrastructure, pensée mécaniste et répétition technique.
Construites en 1959, dessinées par Bertrand Goldberg, ces deux tours de 179 mètres (65 étages) ont été imaginées pour inverser le mouvement du "white flight" en plein essor dans le Chicago des années 60. Ce complexe haut de gamme proposait alors des appartements grands, lumineux et indépendants. Assez frustement conçu toutefois puisque tous les systèmes de chauffage et de climatisation sont gérés individuellement par chaque lot.
La vis sans fin qui permet le stationnement des véhicules sur les 20 premiers niveaux constituent le véritable accès des immeubles. Le hall d’entrée piéton est presque invisible depuis le rez-de-chaussée : une discrète porte vitrée située derrière un poteau.
Les quais n'existent pas, ne comptent que le ciel et l'eau : les grands balcons et les débarcadères pour bateau accessibles en ascenseur.
Sur le sol épais des berges de la rivière, les lignes horizontales sont franches et sincères. Les tours de Marina City ne mentent pas. A chicago, on multiplie la surface de la parcelle.
Rien de plus, rien de moins.






Chicago Archi 1 : Mc Cormick Tribune Campus Center

Une ville générique et bâtie autour des infrastructures pouvait-elle raisonnablement se passer d’une intervention architecturale de Rem Koolhaas ? La réponse étant évidemment négative voici le Mc Cormick Tribune Campus Center.
Erigé en 2003 sur le campus de l’Illinois Institue of Technology, il est la première œuvre américaine de l’OMA. Le bâtiment est placé sous l’hospice de Mies Van der Rohe, dont le campus accueille la plus grande concentration de bâtiments au monde. Une fresque le représente en pixel sur la porte principale.
Placé sous la ligne du métro et protégé d’elle par une coque de béton et d’acier suspendue, la construction s’installe en lieu et places d’une aire incertaine. Sur cette pelouse mal plantée, le passage des étudiants avait tracé des sentiers. Ces axes sont devenus les circulations internes du bâtiment.
La construction agglomère dans une forme très abstraite les services du campus : restauration, boutique, informatique, salle de conférence, … La rigueur extérieure très "miesienne" n’a d’égal que l’exubérance intérieure.
Une architecture réjouissante qui contient presque à elle seule toute l’essence urbaine de Chicago.
What else ?








PS : Autocad ne s’y est pas trompé, puisque les concepteurs du logiciel ont utilisé le bâtiment dans la page d’accueil du logiciel 2008. Vivre dans Autocad, le rêve non ?

Le portfolio c'est ici :
65 Chicago Infra archi 1 Mc Cormik

Chicago Union Station

Le chemin de fer a fait Chicago.
Aux alentours de 1930, quand le rail américain connaissait son heure de gloire, 10% des marchandises des Etats-Unis étaient chargées ou déchargées à Chicago. 80.000 hommes s’occupaient de cette formidable tâche.
La croissance urbaine a su s’accommoder de cette mer de rails qui convergeaient jusqu’au Loop. En 1905, la situation était pourtant critique. 6 gares terminales entouraient le Loop et bloquaient l’extension du centre. Entre le lac et les rails, la ville étouffait.
Le projet de la nouvelle gare de Union Station, à l’ouest de la Chicago River, imaginé dans les années 10 et achevé en 1925 a permis de débloquer la situation. Déplacements de rails à grande échelle, nivellement de voie et construction de deux bâtiments principaux, traversés par une rue et reliés aux quais et entre eux par un réseau de souterrains. Des droits aériens furent ensuite accordés et une série de construction se superposèrent aux rails : Chicago Daily News en 1929, le Merchandise Mart en 1931 et d’autres bâtiments jusqu’à nos jours.

L’activité ferroviaire est bien moindre dans le contexte contemporain des transports américains. L’infrastructure est pourtant là, même si la gare elle-même est furtive : une fente sombre qui longe la rivière, des escaliers anonymes qui descendent vers les voies, des bruits métalliques à peine perceptibles depuis la rue. Les quais sont vides mais ils sont là.
Un TGV américain devrait relier prochainement plusieurs villes de la côte Est, la californien envisage le sien… Union station n’est pas prêt de fermer.







dimanche 14 août 2011

Chicago Loop

Jean Castex "Chicago 1910-1930, le chantier de la modernité"

« Dans son plan de régularisation des voies de Chicago, Burnham prévoyait des rues à étages sur Michigan avenue, avec un pont à deux niveaux, et pour la desserte commode des gares […] sur Roosevelt Avenue.
[…]
Ville sans sol, Chicago doit d’abord l’établir en relevant la ville primitive. Empêché de communiquer au Nord et à l’Ouest, Chicago (qui a aussi des ponts) doit creuser des tunnels sous la rivière (1865-1893), dégager les chaussées encombrées en montant « sur échasse » les lignes de tram (l’Elevated , 1893), mais aussi en retranchant les livraisons de marchandises lourdes à 40 pieds sous la chaussée (Chicago tunnel Cà, 1899-1909). La séparation des circulations est le leitmotiv de cette ville au sol instable.
[…]
En 1892, le peu scrupuleux Charles Tyson Yerkes (1838-1905), commença de construire la première ligne de l’Elevated. Superposées au tramway sur un pont de ferraille vibrant et tremblant au passage des trains, ou coupant les îlots en passant au-dessus de l’allée (en pleine vue des espaces privés des habitations), les lignes se répandirent sur la banlieue de Chicago.
[…]
Malgré des plans déjà prêts depuis 1895, la ville, impliquée dans de curieuses batailles financières, ne consentit à Yerkes l’accès au Loop pour sa ligne du North west qu’en décembre 1897. L’électrification par troisième rail permit de boucler une ligne qui ceinturait le quartier des affaires. La boucle – le Loop – passant sur Lake, Wells, Van Buren et Wabash Street désignait désormais le centre de la vie commerçante et bancaire de Chicago.
[…]
Les stations, dessinées en 1895 par l’ingénieur J. A. L. Wandell, occupaient toute la largeur de la voie et formaient des portes d’entrées au Loop, la ligne s’apparentant à une enceinte métallique. […]
La gare, dessinée dans un goût pittoresque, utilise une ossature en métal et en bois (pour les planchers et les plafonds), avec un revêtement courant en acier embouti qui assure le décor des surfaces ou des panneaux de chêne. Malgré l’étroitesse et le confort rudimentaire des stations, lessai de superposition des circulations montre ici une de ses premières élaborations. »







Plus d'images ici :
63 Chicago Loop

Chicago infra-city : Le Métro-autoroute

Dès que l’on s’éloigne de l’hypercentre, les lignes rouge et verte du métro de Chicago s’insèrent sur des terre-pleins autoroutiers. L’économie de sol relative, les possibilités d’interconnections nouvelles ainsi que le frottement social que cette juxtaposition implique sont relativement réjouissants.
Outre que ce modèle pourrait être utilisé ailleurs (le métrophérique sur l’A86 c’était quand même une bonne idée), le croisement des réseaux dans les faisceaux d’entrée de la ville est presque déjà un signe. Bienvenue à "infra-city".




samedi 13 août 2011

Le sol de Chicago

Pour une ville de plaine installée au bord d’un lac placide, Chicago propose un sol d’une grande complexité. Couverture des rails, passage de rivière, inversion des écoulements naturels, ponts mobiles, voies rapides souterraines, sol marécageux… Même sans évoquer les métros surélevés, la ville doit beaucoup à ses travaux d’infrastructures.
Si l’incendie de Chicago détruisit la plupart des bâtiments, les transformations du sol demeurèrent et le plan d’extension de Burnham ne remit pas en cause ces transformations.
A Chicago, le visiteur se promène le nez en l’air et contemple les tours. Il est tout aussi intéressant de regarder le sol.








Extrait de "Chicago 1910-1930, le chantier de la modernité" de Jean Castex
"Cette ville qui devait devenir en un siècle une métropole (1830-1930) [...] avait deux grands inconvénients : elle n'avait pas de sol -il fallait donc l'extraire de la boue - et elle n'avait pas non-plus de sous-sol - des couches d'argiles humides plus ou moins stables cachaient le sol calcaire à 30 m au-dessous du niveau du lac. [...] En 1855, la municipalité décida de relever le sol, parfois de 3m, en utilisant des cendres, des ordures, des gravats, puis répéta ses consignes en 1857 et en 1868. Etablir le sol demanda deux décennies."

Chicago, première ville générique ?

Partie de rien en 1830, totalement incendiée en 1871, la ville de Chicago est plus encore que Los Angeles ou New York représentative du miracle économique américain du début du XXe siècle. Sa position cardinale, entre l’Est et l’Ouest et sur l’axe Médian du Mississippi la condamnait presque au développement frénétique qu’elle connut à partir de 1880. Son "essence" ferroviaire, point névralgique du réseau ferré américain et plateforme d’échange entre les produits agricoles de l’Ouest et les produits industriels du Nord-Est, lui fournit une vocation : celle de la modernité.
De 1910 à 1930, elle est pour Jean Castex « Le Chantier de la modernité ».

Le caractère charnière de la ville se lit sur les cartes routières. A Chicago la géométrie bascule et les routes sinueuses du Nord-Est, héritage d’un modèle européen attentif à la géographie, se transforment en une trame abstraite, l’artificialité progressiste du Homestead Act.

La vocation technique de la ville s’inscrit dans ses infrastructures et dans le haut niveau d’abstraction de son architecture. Chicago est une "Rail City", née par le rail, qui inventa le métro et les rues à étages et accueilli Mies Van der Rohe pour ses dernières années. Le pape du modernisme boucla la boucle en utilisant en applique des rails métalliques décoratifs.
Ici le gratte-ciel n’est pas une icône mais une modalité de multiplication des surfaces disponibles. Le patrimoine architectural de Chicago est connu et célébré, du Wrightley Buiding aux Marina towers, mais une partie importante de la production contemporaine correspondant à un style global qui ne dépareillerait pas à Shanghai ou Kuala Lumpur.

Ville de l’infrastructure, Chicago est aussi la ville du refoulement des infrastructures.
Selon la leçon architecturale bien connue, la mauvaise tour européenne naît sur une dalle morte quand la bonne tour américaine tombe dans la rue vivante. A Chicago, il n’en est rien.
Les tréfonds de la ville sont parcourus par des rails et des souterrains multiples, les métros sont surélevés et tournoient dans l’hyper-centre, mais ici le sol est épais, menteur. Les niveaux se superposent et s’ignorent. Il y a dix villes identiques mais différentes qui se superposent sans se parler.

Moderne, technique et muette, et si Chicago était également la première ville générique.





vendredi 12 août 2011

Amish County : l'antiurbanisme militant

Choisir d'étudier la ville américaine c'est affronter un paradoxe. Intrinsèquement l'amérique est anti-urbaine. Des Suburbs proliférantes jusqu'au prairie-style, du rôle spécifique de la voiture à la haine républicaine actuelle de la ville et du centralisme cet état d'esprit atteint parfois une dimension idéologique.

Le phénomène Amish, ici dans le conté de Goshen Indiana, en fournit l'expression la plus militante, la plus démonstrative et la plus menteuse.
Les Amish rejettent la société de consommation mais on les croise dans les allées du Wall-mart, ils voyagent en voiture à chevaux mais passent la tondeuse et le rotofil, ils se réfugient dans le ruralisme mais habitent des maisons presque standards et communient à la même vénération de la pelouse parfaitement entretenue.

Les Amish font du commerce et vendent des produits réputés sains à des américains standards qui viennent de très loin. Les Amish n'acceptent pas la carte de crédit. Ici l'on paie cash.